J'ai rencontré Julien Beaucourt lorsque je suis arrivée en résidence à Rotterdam, en février 2014. Nous étions tous deux esseulés dans le monotone hiver batave, et, pour citer Hölderlin, avions presque perdu notre langage en pays étranger.
En ces terres artificielles, la tradition calviniste, secondée dans les années 70 par une génération d'artistes puissante et contestataire, a achevé d'hypertrophier la désincarnation des pièces et des expositions ; de sorte que l'art conceptuel et minimal, qui connurent un essor important aux Pays-Bas, demeurent aujourd'hui telle une norme de ce qui doit être montré et du bon goût.
Dans ce contexte, le travail de Beaucourt était, pour moi qui situe ma propre pratique précisément dans la postérité de l'art conceptuel, doublement surprenant.
Julien Beaucourt est Peintre, et son approche picturale est dépouillée de toute mise à distance, de tout cynisme, vis-à-vis de la peinture.
Lorsquíon lui demande pourquoi il a choisi de peindre à l'huile, Julien évoque ses qualités intrinsèques de lumière et de couleur ; puis il admet que c'est plutôt sa qualité temporelle qui la différencie tant de l'acrylique, de l'encaustique ou de l'aquarelle. L'huile sèche lentement, elle encourage l'erreur, elle vieillit tel un organisme et n'autorise pas de voir le résultat fini lorsque l'on s'éloigne de la toile. En ce sens, elle continue de peindre par delà le peintre lui-même. Elle surdétermine, dès lors, les problématiques picturales de ce qui est représenté.
En entrant dans la galerie Hommes, qui a abrité sa première exposition personnelle en septembre 2014, l'on était tout d'abord assailli par cette odeur caractéristique d'huile et de térébentine.
Le regard du visiteur était accueilli par un vaste tryptique de plus de sept mètres de longueur par deux de hauteur. Cette entreprise surdimensionnée le devenait d'autant plus que Julien aime les formats rapiécés ; il peint sur Canson et non sur toile, s'autorisant non seulement de ne pas user du chassis, mais de sortir en outre du paradigme du rectangle, du carré, de la forme régulière. Ce choix délibéré de l'assemblage lui permet de travailler de façon extensive. L'espace pictural est libre, mouvant, en expansion, et répond à ce qui revient systématiquement dans son travail : des figurations météorologiques ou climatiques de paysages atemporels, desquels l'homme, dans sa finitude et sa vanité, a été évacué.
La touche épaisse, produisant presque un haut-relief, la figuration tentée par le monochrome, l'expressionnisme du geste, situent forcément cette peinture dans la contemporanéité ; la nostalgie aventureuse qui s'y exprime de toutes parts ne passe pas par la réappropriation ou le pastiche d'une manière surannée. Mais ce que Beaucourt peint nie de toutes ses forces toute temporalité, toute époque. Le visiteur se sent délesté du poids des innombrables images informatives qu'il doit absorber chaque jour. Et les dimensions inconfortables, trop grandes, de ce que doit embrasser son regard, se placent du côté de la sacralité.
Beaucourt avait placé une chaise de plomb au bas de l'une de ses peintures. Cette chaise ne faisait pas plus de trente centimètres de hauteur. Evidemment, l'on était amené à faire un bref calcul d'échelle, et de démultiplier l'espace peint à la mesure de ce qui nous était échu ; écrasement métaphysique ou contemplation humble, hors de toute domesticité.