Artiste ou Artisan
Il n’y a pas longtemps, interviewé à la Gare de Nantes par un journal local, le journaliste me demande s’il doit décrire mon intervention sur la sculpture des arbres en béton comme celle d’un artiste ou d’un artisan.
Jardin géologique
Le projet, qui consiste en une reproduction adaptée de la Grotte Cosquer, s’installe dans le sous-sol de la Villa Méditerranée à Marseille. Souhaitant offrir aux spectateurs une visite immersive et contemplative, l’exigence d’être le plus cohérent et réaliste possible s’impose à tous les artistes, sculpteurs et peintres invités à participer au projet.
Pour ne rien faciliter, le chantier qui représente pas moins de 1750 m2 de surface sculptée et peinte, devra être livré dix mois après son démarrage. Un véritable défi pour l’entreprise AAB qui m’offre un challenge sur mesure : être en charge de la réalisation des spéléothèmes en résine et coordonner pour cela une équipe de collaborateur qu’il faudra former.
Un rôle et un chantier qui ne se refuse pas, je serai donc à l’oeuvre dans les entrailles de la grotte pendant huit mois.
Dans une phase préparatoire qui se déroule en banlieue parisienne, j’ai comme mission de mettre en oeuvre et expérimenter différentes « recettes » délivrées par les Ateliers Stephane Gérard, auteurs d’un travail similaire à la grotte Chauvet 2. En m’essayant à des procédés variés, je commence la mise en place de différents protocoles pour m’approcher au plus près des formes extravagantes que sont les différents stalagmites et autres concrétions géologiques de la grotte. Pour m’aider, des documents tels que photographies de haute définition, scan 3D, sont mis à disposition pour nous guider.
Transparences, couleurs, effets humides et scintillements sont mis au point au fur et à mesure et sont à chaque fois validé ou refusé par les géologues qui suivent et accompagnent nos travaux. Un travail long et fastidieux, qui réclame à la fois l’écoute attentive des explications scientifiques et comprendre leur rationalité, tout en usant d’ingéniosité pour être le plus efficace possible en maintenant les délais et budgets. Qualité, créativité et faisabilité vont de pair. Je découvre des produits que je ne connaissais pas et me retrouve à les détourner de leurs usages pour obtenir le bon résultat, celui qui fera en sorte que le spectateur y croit.
D’abords difficile, il me faut quelques temps pour avoir les automatismes avec les produits, et surtout pour comprendre la logique des concrétions, qui elles, ne s’inventent pas. Mais petit à petit, le processus s’enclenche, les gestes s’affirment et le résultat se précise. Le rôle des géologues qui accompagnent toute l’équipe de AAB est primordial, cela nous permet de ne pas divaguer dans des impasses esthétiques, mais nous ramène plutôt à une logique géologique, essentielle au réalisme recherché.
Comme à chaque fois, le terrain présente sa réalité pratique et ses difficultés auxquelles il faut faire face.
La facilité de l’atelier et de ses équipements laisse place à l’adaptation permanente nécessaire aux conditions présentes sur place. Dans l’obscurité du sous-terrain de la Villa Mediterannée, humide et moite, ventilé à grands coups d’extracteurs, il faut façonner la résine dans le nuage de fumée des voisins soudeurs et la poussière dégagé par le béton projeté. La coordination n’est pas tous le temps simple entre les différentes étapes de fabrication. Mais l’ambiance reste bonne, comme une solidarité entre mineurs de fond, tous fier de participer à un projet qui nous dépasse.
Le chantier se déroule en plusieurs temps, selon l’avancement des zones que l’on appelle écaille. On commence par le fond pour pouvoir sortir toutes les machines par la porte d’entrée sans avoir à détruire le décor.
Selon le plan d’intervention décidé par la scénographie, la résine devra recouvrir certaines zones. Commence alors l’application tant attendue sur des formes sculptées en béton au préalable. L’illusion commence à naitre, les concrétions aux couleurs et transparences variées transforment la roche et scintillent dans cette caverne en lui donnant l’aspect d’un jardin géologique aux milles nuances.
La phase recherche se concrétise quelques mois plus tard avec l’application sur place des protocoles décidés. La tâche prend alors une autre dimension en conférant au béton modelé et peint, une allure vivante et scintillante.
L’autre objectif de cette mission, c’est aussi la direction et la formation d’une équipe à encadrer dans la réalisation des spéléothèmes. Après avoir cerné les différentes méthodes de fabrication, la transmission de compétences et la coordination des travaux s’ajoutent à mon rôle de lead artist.
Des responsabilités supplémentaires, mais surtout une expérience humaine riche et intense. Apprendre à déléguer n’est pas une tâche facile pour moi. Il y a d’abords l’Art de transmettre, d’apprendre, et dans mon cas, cela concernait des compétences techniques sur la résine que je ne maitrisais pas complètement, et qui donna l’occasion à de riches échanges et résultats entre nous tous. Un autre aspect, plus intime, concerne la sensibilité plastique, l’approche et les gestes de chacun auxquels on est plus ou moins en accord. L’égo à tendance à donner de mauvais avis, et il faut apprendre à le gérer, être juste. Pas une mince affaire, mais une étape supplémentaire dans mon évolution professionnelle, en plus d’une expérience personnelle enrichissante. Je crois pouvoir dire que chacun d’entre nous se rappellera avec nostalgie de cette expérience.
Un travail d'équipe, des collaborateurs hors pairs. Un grand merci à: Diego, Roger, Caroline, Marine, Laure, Lucas, Fabien, Sara, l'équipe AAB, et Kleber Roussillon.
Il n’y a pas longtemps, interviewé à la Gare de Nantes par un journal local, le journaliste me demande s’il doit décrire mon intervention sur la sculpture des arbres en béton comme celle d’un artiste ou d’un artisan.